Droit des Jeux d'argent et de hasard: Cour d'appel de Paris, 28 janvier 2016, 15/11018 (GAMEDUELL c. ARJEL)

18.1.17

Cour d'appel de Paris, 28 janvier 2016, 15/11018 (GAMEDUELL c. ARJEL)

La législation française contribue à limiter les jeux payants de hasard en ligne d’une manière cohérente et systématique ; dès lors, il est évident que la législation applicable aux jeux payants en ligne n’est par contraire au TFUE.






REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2 

ARRET DU 28 JANVIER 2016 (n° 82 , 13 pages) 

Numéro d’inscription au répertoire général : 15/11018 

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Mai 2015 - Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 15/51834 

APPELANTE 

SARL GAMEDUELL GMBH 

Société de droit allemand 

XXX 

XXX 

Assistée de Me xxxx, avocat au barreau de PARIS,  

Représentée par Me xxxxx, avocat au barreau de PARIS,  

INTIMES

 X

prise en la personne de Monsieur Charles COPPOLANI, son président

[...] 

SA BOUYGUES TELECOM

SNC DARTY TELECOM

XXX
XXX [...] 

SAS COLT TECHNOLOGY SERVICES 

Agissant poursuites et diligences de son président en exercice et/ou tout autre représentant légal domicilié en cette qualité audit siège XXX XXX N° SIRET : 402 628 838 

[...] 

ORANGE CARAIBE 

XXX 
XXX 

SA ORANGE REUNION 

XXX 
XXX 

SA ORANGE ANCIENNEMNET DÉNOMMÉE FRANCE TELECOM 
[...]

 SA SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE

 XXX 
XXX 

Société SOCIETE REUNIONNAISE DU RADIOTELEPHONE XXX XXX 

[...]  

SAS FREE 

[...]  

Défaillante – assigné à personne habilitée 

PARTIE INTERVENANTE : 

LE PROCUREUR GENERAL

 XXX

 XXX

 représenté par Monsieur Thierry Ramonatxo, avocat général près la cour d’appel de Paris 

COMPOSITION DE LA COUR : 

L’affaire a été débattue le 10 Décembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Frédéric CHARLON, Président de chambre Mme Evelyne LOUYS, Conseillère M. Philippe FUSARO, 

Conseiller qui en ont délibéré Greffier, lors des débats : 

Mme Y Z MINISTERE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur Thierry RAMONATXO, avocat général, qui a fait connaître son avis à l’audience et par conclusions transmises le 24 novembre 2015. 

ARRET : 

— RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE 

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. 

— signé par Monsieur Frédéric CHARLON, président et par Mme Y Z, greffier. ELEMENTS DU LITIGE': L’Autorité de régulation des jeux en ligne (X) est une autorité administrative indépendante créée par les articles 34 à 45 de la loi n°'2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. 

Elle a notamment pour missions de délivrer des agréments qui permettent aux opérateurs de jeux d’argent et de hasard en ligne de proposer des offres de jeux aux consommateurs français, de s’assurer du respect des obligations par ces opérateurs, de lutter contre les sites illégaux et de lutter contre la fraude et le blanchiment d’argent. 

Dès 2011, l’X avait constaté que des sites internet accessibles en France, dont l’opérateur est la société de droit allemand GameDuell GmBH, proposaient sur des jeux payants de dés et de cartes. Ces jeux sont présentés par la société GameDuell comme des jeux d’adresse qui font appel essentiellement à la stratégie, à l’habileté et à l’adresse du joueur, et dans lesquels le hasard n’intervient que marginalement, mais l’X a considéré qu’en raison de la part de hasard que comportaient des jeux, ils constituent des jeux d’argent et de hasard prohibés par la loi. 

En décembre 2011, l’X a donc adressé à la société GameDuell une mise en demeure, réitérée les 26 septembre 2014 et 24 novembre 2014, lui enjoignant de cesser son activité d’offre de jeux d’argent et de hasard et en lui rappelant les sanctions pénales encourues. 

Ces mises en demeure ont été dénoncées aux fournisseurs d’accès internet, les sociétés Nc Numericable, Orange, Orange Caraïbe, Orange Réunion, Société Française du Radiotéléphone-SFR, Société Réunionnaise du Radiotéléphone, Free, XXX, XXX. 

La société GameDuell n’ayant pas obtempéré à cette injonction, l’X a saisi le président du tribunal de grande instance de Paris en la forme des référés selon la procédure spéciale prévue à l’article 61 de la loi du 12 mai 2010, afin que soit ordonné l’arrêt de l’accès aux services proposés au public en ligne. Par ordonnance rendue en la forme des référés le 11 mai 2015, le président du tribunal de grande instance de Paris a, notamment': 

— dit n’y avoir lieu à demande de décision préjudicielle'; — enjoint à la société Gameduell de mettre en 'uvre toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français, au contenu du service de communication en ligne accessible en France aux adresses : 

— http://www.gameduell.fr — http://www.gameduell.com — http://www.gameduell.us — http://www.gameduell.de — http://www.gameduell.nl — http://www.gameduell.se — http://www.gameduell.dk — http://www.gameduell.at — dit qu’à défaut de ce faire dans le délai de huit jours à compter de la signification de la présente décision, la société Gameduell encourra une astreinte de 50 000 euros par jour de retard pendant 3 mois, passé lequel délai il pourra être à nouveau statué ; 

— s’est réservé la liquidation de l’astreinte ; 

— enjoint les sociétés Nc Numericable, Orange, Orange Caraïbe, Orange Réunion, Société Française du Radiotéléphone-SFR, Société Réunionnaise du Radiotéléphone, Free, XXX, XXX., de mettre en 'uvre, ou de faire mettre en oeuvre toutes mesures appropriées de blocage par nom de domaine (DNS) pour empêcher l’accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, au service de communication en ligne accessible actuellement en France aux adresses': 

— http://www.gameduell.fr — http://www.gameduell.com — http://www.gameduell.us — http://www.gameduell.de — http://www.gameduell.nl — http://www.gameduell.se — http://www.gameduell.dk — http://www.gameduell.at 

— dit que les mesures pourront être levées sur simple demande par lettre recommandée avec accusé de réception du président de l’X ; 

— laissé les dépens relatifs à la mise en cause des fournisseurs d’accès à internet à la charge du président de l’X. La société GameDuell a interjeté appel de cette décision le 4 juin 2015. Par conclusions du 1er septembre 2015, la société GameDuell demande': 

— de dire qu’elle proposait avant la décision dont appel, des jeux gratuits, des jeux de connaissance et de savoir-faire, des jeux d’adresse dans lesquels le hasard n’intervient pas de manière prépondérante, 

— de dire que la directive sur le commerce électronique n’exclut de son champ d’application ni les jeux gratuits, ni les jeux de connaissance et de savoir-faire, ni les jeux d’adresse, dans la mesure où le hasard n’intervient pas de manière prépondérante, 

— de dire qu’en conséquence du point précédent, les jeux proposés par la société Gameduell sont soumis à la clause de marché intérieur prévue par la directive sur le commerce électronique, 

— de dire que les dispositions de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation ayant modifié la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 et les articles L. 322 et L. 322-2-1 du code de la sécurité intérieure pour élargir le champ des interdictions, auraient dû être notifiées en tant que norme technique conformément à la directive 98/34/CE et qu’elles ne l’ont pas été, 

— de dire qu’en conséquence du point précédent, ces dispositions qui auraient dû être notifiées et ne l’ont pas été, ne produisent aucun effet, 

— de dire que la demande de l’X est irrecevable à défaut d’intérêt légitime dans la mesure où l’action vise à donner effet à des dispositions nationales contraires à des normes européennes supérieures et/ou adoptées en violation des procédures prévues par des normes européennes supérieures, 

— de dire que la demande de l’X est en tout état de cause infondée dans la mesure où elle vise à donner effet à des dispositions nationales contraires à des normes européennes supérieures et/ou adoptées en violation des procédures prévues par des normes européennes supérieures, 

— de mettre hors de cause la société Gameduell pour défaut de la qualité d’hébergeur, 

— de rejeter l’ensemble des demandes de l’X, A titre subsidiaire : 

— avant dire droit, de poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes : 

Première question': 

L’article 1er, 5., d), troisième tiret, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), doit-il être interprété en ce sens que sont exclus du champ d’application de cette directive : 

- les activités des services de la société de l’information consistant en des jeux de connaissance ou de savoir-faire, tels le sudoku ou les mots-mêlés, les mots croisés ' 

- les activités des services de la société de l’information consistant en des jeux d’adresse dans lesquels le hasard n’intervient pas de manière prépondérante, tels la belote' 

Deuxième question': 

Si la Cour répond positivement à la première question, sous a) et/ou b), une réglementation nationale qui crée un régime d’interdiction générale et absolue frappant ces jeux, est-elle compatible avec les dispositions du Traité (TFUE) garantissant la liberté d’établissement, la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux au sein de l’Union européenne ' 

Troisième question': 

L’article 1er, 5., d), troisième tiret, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), doit-il être interprété en ce sens qu’il vise aussi les jeux d’argent dans lesquels le sacrifice financier est ultérieurement remboursé au joueur ' 

Quatrième question': 

Une disposition légale, décrétale ou règlementaire, ayant pour but d’instaurer une interdiction absolue frappant d’une manière générale, y compris lorsqu’elles sont proposées par des services de la société de l’information, « toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’opérateur de la part des participants », et qui prévoit que « cette interdiction ['] recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur », est-elle une règle technique au sens de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, lorsqu’elle remplace une disposition antérieure qui limitait cette interdiction aux « jeux de hasard » dont la définition légale précisait qu’il s’agissait d’un « jeu payant où le hasard prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence pour l’obtention du gain » ' 

— de surseoir à statuer dans l’attente de la réponse que la Cour de justice de l’Union européenne apportera aux questions préjudicielles qui lui sont posées. 

À titre plus subsidiaire et avant dire droit, de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : Une réglementation nationale qui crée un régime d’interdiction générale et absolue sans licence possible, est-elle compatible avec les dispositions pertinentes du Traité (TFUE) garantissant la liberté d’établissement, la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux au sein de l’Union européenne, lorsqu’elle frappe : ' les activités des services de la société de l’information consistant en des jeux de connaissance ou de savoir-faire, tels le sudoku, les mots-mêlés ou les mots croisés ' ' les activités des services de la société de l’information consistant en des jeux d’adresse dans lesquels le hasard n’intervient pas de manière prépondérante, tels la belote ' 

— de surseoir à statuer dans l’attente de la réponse que la Cour de justice de l’Union européenne apportera aux questions préjudicielles qui lui sont posées. En toute hypothèse': 

— de condamner l’X aux dépens et à verser à la société GameDuell une somme de 70.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Par conclusions du 13 novembre 2015, l’X demande': 

— de confirmer en tous ses chefs l’ordonnance rendue le 11 mai 2015, 

— de dire n’y avoir lieu aux questions préjudicielles suggérées par la société GameDuell, 

— de débouter la société GameDuell de ses demandes, 

— de constater que l’opérateur du site exploitant le service de communication en ligne accessible à partir des adresses www.gameduell.fr; www.gameduell.com ; www.gameduell.us; www.gameduell.de; www.gameduell.nl; www.gameduell.se; www.gameduell.dk et www.gameduell.at proposait à destination du territoire français des services des jeux d’argent et de hasard en ligne sans être titulaire de l’agrément préalable requis par la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010

— de constater que l’X a adressé une mise en demeure en date du 26 septembre 2014, réitérée le 20 novembre 2014, à l’opérateur exploitant le service de communication en ligne accessible à partir des adresses www.gameduell.fr; www.gameduell.com ; www.gameduell.us; www.gameduell.de; www.gameduell.nl; www.gameduell.se; www.gameduell.dk et www.gameduell.at proposant en France des jeux d’argent et de hasard en ligne sans être titulaire de l’agrément préalable requis par la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 ou de droit exclusif, 

— de dire et juger que l’opérateur du site a été valablement mis en demeure dans le respect des conditions prévues par la loi, 

— de constater qu’il n’a pas été déféré à ces mises en demeure dans les conditions requises, 

— de débouter la société GameDuell de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de la condamner aux dépens et au paiement de la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Par conclusions du 24 novembre 2015, les sociétés BouyguesTélécom et Darty Télécom demandent': 

— de constater qu’aucune demande n’est formulée à leur l’encontre, — de leur donner acte de ce qu’elles s’en rapportent à l’appréciation de la cour quant au bien-fondé des prétentions de la société GameDuell et de l’X, 

— de condamner aux dépens la partie qui succombera en cause d’appel. Par conclusions du 24 novembre 2015, La société Colt Technology Services demande': 

— de constater qu’aucune demande n’est formulée à son encontre, 

— de lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice quant au bien fondé des demandes formulées respectivement par la société GameDuell et l’X au regard des risques de trouble à l’ordre public et social, 

— de dire que les dépens seront à la charge de la partie succombante. Par conclusions du 28 octobre 2015, la société Free demande de dire que le principe de proportionnalité doit s’appliquer aux mesures de blocage relatives aux services de communication électronique. Par conclusions du 19 novembre 2015, la société Numéricable demande': 

— de constater qu’aucune demande n’est formulée à son encontre, 

— de lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte quant au bien-fondé des prétentions respectives de la société Gameduell et de l’X, 

— de condamner la partie qui succombera en appel aux entiers dépens. Par conclusions du 30 octobre 2015, les sociétés Orange, Orange Caraïbes et Orange Réunion demandent': 

— de constater qu’en l’état, aucune demande ou prétention n’est formulée à leur encontre, 

— de leur donner acte de ce qu’elles s’en rapportent à justice en ce qui concerne le litige opposant la société GameDuell à l’X, 

— de condamner aux dépens la partie qui succombera en appel, Par conclusions du 20 novembre 2015, la société SFR et la société Réunionnaise de Radiophonie demandent': 

— de constater qu’aucune demande n’est formulée à leur encontre, 

— de leur donner acte de ce qu’elles s’en remettent à l’appréciation de la Cour quant au litige qui oppose la société GameDuell à redressement judiciaire, 

— de dire que le principe de proportionnalité doit s’appliquer aux mesures de blocage demandées en application de la loi du 12 mai 2010

— de mettre les dépens à la charge de la partie qui succombera en appel. La société Outremer Télécom n’a pas constitué avocat'; la société GameDuell lui a fait signifier le 8 septembre 2015 une assignation comportant dénonciation sa déclaration d’appel et de ses conclusions. Par avis du 24 novembre 2015, le ministère public demande la confirmation de la décision entreprise. 

MOTIFS DE LA DECISION 

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société GameDuell Une loi du 21 mai 1836 avait, dans son article 1er, posé le principe que «'les loteries de toutes espèces sont prohibées'» et précisait, dans son article 2, que «'sont réputées loteries et interdites comme telles, les ventes d’immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles auraient été réunies des primes ou autres bénéfices dus au hasard et généralement toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait acquis par la voie du sort.'». 

Cet article 2 a été modifié par l’article unique de la loi du 18 avril 1924 ainsi rédigé': «'Sont réputées loteries et interdites comme telles : les ventes d’immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles auraient été réunies des primes ou autres bénéfices dus, même partiellement, au hasard et généralement toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait acquis par la voie du sort.'» 

En vertu de ce texte, était donc interdite toute opération qui, offerte au public, proposait une espérance de gain moyennant un sacrifice pécuniaire, pourvu seulement que ce gain fût pour une part quelconque, prépondérante ou non, attribué au gré du hasard. Par ailleurs, le code pénal contenait depuis 1810 un article 410 punissant d’emprisonnement et d’amende «'ceux qui auront tenu une maison de jeux de hasard, et y auront admis le public, soit librement, soit sur la présentation des intéressés ou affiliés, les banquiers de cette maison'», texte qui ne définissait pas la notion de «'jeu de hasard'», mais une jurisprudence de la Cour de cassation, inaugurée par un arrêt du 5 janvier 1877, avait qualifié de jeux de hasard ceux «'où la chance prédomine sur l’habileté, la ruse, l’audace et les combinaisons de l’intelligence'». 

L’article 410 du code pénal a été repris et reformulé par l’article 1er de la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard, pour sanctionner pénalement «'le fait de participer, y compris en tant que banquier, à la tenue d’une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, même lorsque cette admission est subordonnée à la présentation d’un affilié.'» 

L’article 2 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, a défini le jeu de hasard comme étant «'un jeu payant où le hasard prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence pour l’obtention du gain'» et l’article 14 de cette même loi disposait, au paragraphe I., que'«'par dérogation aux dispositions de l’article 1er de la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983, toute personne titulaire de l’agrément prévu à l’article 21 de la présente loi en tant qu’opérateur de jeux de cercle en ligne peut organiser, dans les conditions prévues par la présente loi, de tels jeux'», le paragraphe II. ajoutant que « pour l’application du I, seuls peuvent être proposés en ligne les jeux de cercle constituant des jeux de répartition reposant sur le hasard et sur le savoir-faire dans lesquels le joueur, postérieurement à l’intervention du hasard, décide, en tenant compte de la conduite des autres joueurs, d’une stratégie susceptible de modifier son espérance de gains'» et que «'seuls sont autorisés les jeux de cercle entre joueurs jouant via des sites d’opérateurs titulaires de l’agrément prévu à l’article 21.'» L’article 1 I. du décret n° 2010-723 du 29 juin 2010, relatif aux catégories de jeux de cercle mentionnées au II de l’article 14 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, prévoit que «'tout opérateur de jeux de cercle en ligne titulaire de l’agrément mentionné à l’article 21 de la loi du 12 mai 2010 susvisée peut exploiter les différents types du jeu de cartes dénommé « Poker » mentionnés à l’article 3 du présent décret'», c’est-à-dire les jeux « Texas Hold’em Poker », « Texas Hold’em limit », « Texas Hold’em pot limit », « Texas Hold’em no limit», et « Omaha Poker 4 ». 

Une ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012, ratifiée par l’article 24 I. de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014, a abrogé notamment les articles 1er et 2 de la loi 21 mai 1836 et en a transféré la teneur dans les articles L. 322-1 et L. 322-2 du code de la sécurité intérieure'; de même en vertu de cette ordonnance, l’article 1er de la loi de 1983 est devenu l’article L324-1 du code de la sécurité intérieur et la référence faite par l’article 14 de la loi de 12 mai 2010 à l’article 1er de la loi du 12 juillet 1983, a été remplacée par la référence à l’article L 324-1 du code de la sécurité intérieure. Postérieurement, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a': 

— en premier lieu, modifié’l'article 2 de la loi du 12 mai 2010 dont la nouvelle rédaction est': «'La notion de jeu d’argent et de hasard dans la présente loi s’entend des opérations mentionnées aux articles L. 322-2 et L. 322-2-1 du code de la sécurité intérieure", 

— en deuxième lieu, modifié l’article L. 322-2 du code de la sécurité intérieure qui, dans sa nouvelle rédaction, prohibe les ventes d’immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles ont été réunies des primes ou autres bénéfices dus, même partiellement, au hasard, mais prohibe également «'toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’opérateur de la part des participants'». 

— en dernier lieu, créé un article L. 322-2-1 du code de la sécurité intérieure qui édicte que': «'Cette interdiction [des opérations énumérées à l’article L. 322-2] recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur. Le sacrifice financier est établi dans les cas où l’organisateur exige une avance financière de la part des participants, même si un remboursement ultérieur est rendu possible par le règlement du jeu.'». 

La société GameDuell soulève, en application de l’article 31 du code de procédure civile, l’irrecevabilité des prétentions de l’X pour défaut d’intérêt légitime, en faisant valoir que la loi du 17 mars 2014 est contraire à la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998, modifiée, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, services que sont notamment les jeux de d’argent et de hasard en ligne. La société GameDuell explique que la France n’a pas communiqué à la Commission européenne, au stade de son élaboration, la loi du 17 mars 2014, qui contient des règles techniques, au sens de l’article 1er, point 11, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998, modifiée, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, alors que l’article 8 de la directive impose une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information. 

Cet article 8 édicte que : «'1. (…) les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. (') Les États membres procèdent à une nouvelle communication dans les conditions énoncées ci-dessus s’ils apportent au projet de règle technique, d’une manière significative, des changements qui auront pour effet de modifier le champ d’application, d’en raccourcir le calendrier d’application initialement prévu, d’ajouter des spécifications ou des exigences ou de rendre celles-ci plus strictes .'» 

Ces dispositions obligent donc les États membres de l’Union européenne à communiquer immédiatement tout projet de règle technique à la Commission européenne. Constituent notamment une règle technique au sens de la directive, selon les termes du point 11 de son article 1er, une «' règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 10, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant (…) de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services'» ; la «'règle relative aux services'» est définie au point 5 du même article comme : «'une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services visées au point 2 et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis au même point'» . 

Selon le point 2 de cet article 8, on entend par «'service'», pour l’application de la directive : «'tout service de la société de l’information, c’est à dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services'»'; enfin, le point 12 de l’article 1er de la directive définit le «projet de règle technique»'comme « le texte d’une spécification technique, ou d’une autre exigence ou d’une règle relative aux services, y compris de dispositions administratives, qui est élaboré dans le but de l’établir ou de la faire finalement établir comme une règle technique et qui se trouve à un stade de préparation où il est encore possible d’y apporter des amendements substantiels'». 

Or, l’offre, par la société GameDuell, de jeux d’argent et de hasard en ligne à destination du public situé sur le territoire français, a le caractère d’un service de la société de l’information au sens de la directive 98/34/CE, et les mesures qui interdisent la commercialisation en ligne des jeux de hasard, à l’exception de quelques jeux désignés par la loi et sous réserve d’une autorisation spéciale d’exploitation accordée par l’X, doivent être qualifiées de règles techniques, au sens de l’article 1er, point 11, de la directive 98/34/CE. 

Il convient donc de rechercher si la loi du 17 mars 2014 a ajouté à la législation antérieure relative aux jeux d’argent en ligne, des règles techniques nouvelles ou supplémentaires, qui auraient dû être notifiées à la Commission avant l’adoption du texte, ou si, au contraire, cette loi se contente de reproduire des règles techniques déjà existantes, auquel cas la notification préalable n’était pas nécessaire. 

Il faut rappeler qu’avant la loi du 12 mai 2010, celle du 12 juillet 1983, telle qu’elle était interprétée, interdisait totalement les maisons de jeux ouvertes au public lorsque la part de hasard prédominait sur les capacités personnelles des joueurs, mais que les jeux où l’adresse des joueurs était prépondérante par rapport à la chance étaient aussi interdits au titre de la loi du 21 mai 1936. 

L’article 2 de la loi du 12 mai 2010 a donné une définition légale des jeux de hasard, mais en reprenant, après l’avoir simplifiée, la définition donnée par la Cour de cassation plus d’un siècle auparavant, et la combinaison de cet article 2 avec l’article 14 II., de la loi, et avec les articles 1er de la loi du 12 juillet 1983 et 1er et 2 de la loi du 21 mai 1836, restés en vigueur, aboutissait à ce que, sauf dérogation expresse, tous les jeux de hasard restaient prohibés. 

Par la suite, l’ordonnance du 12 mars 2012 a transposé dans la continuité et à droit constant l’article 1er de la loi du 12 juillet 1983 et les articles 1er et 2 de la loi du 21 mai 1836 dans les articles L.322-1, L. 322-2 et L. 324-1 du code de la sécurité intérieure et si la loi du 17 mars 2014 a certes modifié les articles 2 de la loi du 12 mai 2010 et L. 322-2 du code de la sécurité intérieure, elle n’a fait en réalité que simplifier et unifier à droit constant, des textes jusqu’alors épars, en maintenant l’interdiction de toutes opérations consistant à offrir en ligne, moyennant un sacrifice financier, l’espérance d’un gain dû, même partiellement, au hasard, sauf dérogation obtenue auprès de l’ARJEL par des opérateurs de certains jeux de cercles. 

De même, l’article L. 322-2-1 du code de la sécurité intérieure créé par la loi du 17 mars 2014 n’a fait que préciser une solution qui découlait des anciens articles 1er et 2 de la loi du 21 mai 1836, interdisant les jeux de hasard dont le fonctionnement reposait sur le savoir-faire du joueur. 

Dès lors, sans qu’il soit nécessaire de surseoir à statuer pour saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur l’interprétation de la directive 98/34/CE, il est établi que la loi du 17 mars 2014 ne comporte pas de modification d’une règle technique au sens de l’article 1er, point 11, de cette directive 98/34, et que les prétentions de l’X contre la société GameDuell sont recevables. 

Sur le bien-fondé de l’appel de la société GameDuell 

La société GameDuell prétend en premier lieu que la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 viole la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 qui, selon l’appelante'; s’applique aux jeux d’adresse où le hasard prédomine. 

Cette directive, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres. 

Son article 1er, 5. d) indique qu’elle est inapplicable à certaines activités des services de la société de l’information, dont «'les activités de jeux d’argent impliquant des mises ayant une valeur monétaire dans des jeux de hasard, y compris les loteries et les transactions portant sur des paris'», texte éclairé par le considérant n° 16 de cette même directive, selon lequel «'l’exclusion des activités de jeux d’argent du champ d’application de la présente directive couvre uniquement les jeux de hasard, les loteries et les transactions portant sur des paris, qui supposent des enjeux en valeur monétaire'», c’est-à-dire que tous les jeux de hasard payant, entrent dans le champ d’application de cette exclusion. 

Aucune des décisions produites aux débats, rendues par la Cour de justice des Communautés européenne ou de la Cour de justice de l’Union européenne, ne donne une autre interprétation de ce texte, puisque les conclusions des avocats généraux dans les affaires CJCE C-243/01 du 6 nov. 2003, Piergiorgio Gambelli e.a. et CJCE C-42/07 du 8 sept. 2009, XXX, dont se prévaut la société GameDuell, ne sont que des avis juridiques que la Cour de justice n’a pas avalisés dans les motifs de ces deux arrêts. 

Ainsi, la clarté des termes de l’article 1er, 5. d) et du considérant n° 16 de la directive 2000/31 amènent à affirmer que celle-ci est inapplicable à l’ensemble des jeux où le hasard intervient, même ceux où l’adresse des joueurs prédomine. 

En second lieu, la société GameDuell prétend que la législation française, modifiée par la loi du 17 mars 2014, méconnait les principes de la liberté d’établissement, de la libre prestation de services et de la libre circulation des capitaux prévues par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). 

Il est exact que le TFUE garantit l’exercice de ces libertés à l’intérieur de l’Union européenne, et qu’une législation nationale autorisant les jeux d’argent de façon limitée ou dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés ou concédés à certains organismes, porte atteinte à ces libertés en restreignant l’exercice d’une activité économique, toutefois, une telle atteinte peut être admise lorsqu’elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l’individu et la société, susceptibles de résulter de la pratique des jeux de hasard, à condition que les mesures restrictives entravant ces activités soient proportionnées à la réalisation des objectifs qui lui sont assignés et soient mises en 'uvre de manière cohérente et systématique pour atteindre ces objectifs, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire. 

Les articles 1 et 3 de la loi du 12 mai 2010 indiquent que, compte tenu des risques d’atteinte à l’ordre public et à l’ordre social, l’exploitation des jeux d’argent et de hasard est placée sous un régime de droits exclusifs délivrés par l’État et que sont soumis à un régime d’agrément, dans les conditions prévues par cette loi, les jeux et les paris en ligne qui font appel au savoir-faire des joueurs et, s’agissant des jeux, font intervenir simultanément plusieurs joueurs, la politique de l’État en la matière étant de légaliser, d’encadrer et de contrôler l’offre, la consommation et l’exploitation des jeux d’argent en ligne, en ouvrant à la concurrence certains d’entre eux, avec un encadrement et un contrôle strict de l’offre et de l’exploitation des activités qui en découlent, afin de prévenir le jeu excessif ou pathologique, de protéger les mineurs, d’assurer l’intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu, de prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, de veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeux et d’éviter toute déstabilisation économique des filières concernées. 

Ces objectifs constituent des raisons impérieuses d’intérêt général, susceptibles de justifier un régime juridique résultant de la combinaison de la loi du 12 mai 2010, avec les lois des 12 juillet 1983 et 21 mai 1836, ensuite codifiées par l’ordonnance du 12 mars 2012 puis modifiées à droit constant par la loi du 17 mars 2014, avec un principe général d’interdiction de tous les jeux où le hasard tient une quelconque part, fût-ce les jeux dits d’adresse, régime auquel il est possible toutefois de déroger grâce à des autorisations accordées aux opérateurs qui proposent en ligne certains jeux de cercle définis par le pouvoir réglementaire parmi ceux qui reposent sur le hasard et sur le savoir-faire des joueurs. 

Ce régime de restriction est donc propre à garantir la réalisation des objectifs visés, en contribuant à limiter les jeux payants de hasard en ligne d’une manière cohérente et systématique'; dès lors, il est évident que la législation française applicable aux jeux payants en ligne n’est par contraire au TFUE, ce qui rend inutile un renvoi préjudiciel sur ce point, et justifie la confirmation de l’ordonnance du 11 mai 2015. 

PAR CES MOTIFS' 

DIT n’y avoir lieu de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation, au regard de la législation française applicable au litige, des normes européennes suivantes : 

— la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998, modifiée, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, 

— la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, 

— Les dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) garantissant la liberté d’établissement, la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux au sein de l’Union européenne'; 

DÉCLARE recevables les demandes formées par l’X à l’encontre de la société GameDuell, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 n’ayant apporté aucune modification des règles techniques existantes dans la législation antérieure'; 

CONFIRME en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue en la forme des référés par le président du tribunal de grande instance de Paris'; 

CONDAMNE la société GameDuell aux dépens d’appel';

LA DÉBOUTE de sa demande en remboursement de ses frais irrépétibles';

LA CONDAMNE à payer au Trésor public la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile'; ACCORDE à Me Gxxxx, avocat postulant de l’X, le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ; 

LE GREFFIER,

LE PRÉSIDENT,

Matthieu Escande
Matthieu ESCANDE

Avocat à la Cour - Attorney at Law
Docteur en Droit - Ph.D in Law