Suite au non paiement d'un pari à un parieur, la Française des jeux a été condamnée à payer à son cocontractant le montant des sommes gagnées. La cour d'appel de Montpellier vient ainsi poser les limites à l’annulation unilatérale du contrat de pari sportif par un opérateur pour soupçon de fraude.
Cette affaire a précédemment été présenté dans ce blog il y a plus de deux ans : L'affaire Bruno Gil, un parieur qui se voit refuser le paiement de ses gains par la FDJ.
La décision ci-dessous a été présentée au Recueil Dalloz :
- Matthieu ESCANDE, Pari sportif : annulation par l'opérateur pour soupçon de fraude, Dalloz, 13 juin 2013, p. 1409.
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COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1° Chambre Section B
ARRET DU 22 MAI 2013
Numéro d’inscription au répertoire général : 12/04184
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 MAI 2012
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARCASSONNE
N° RG 11/00429
ARRET :
- CONTRADICTOIRE.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile ;
- signé par Monsieur Mathieu MAURI, Président, et par Madame Myriam RUBINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 6 janvier 2011, la SA LA FRANCAISE DES JEUX proposait dans le cadre de son offre de paris sportifs différentes formules concernant notamment le match de football opposant les équipes italiennes de Frosinone et de Livourne.
Le 6 janvier 2011, à 8 h M. G. faisait l’acquisition de 52 reçus portant sur autant de mises de 100€, pariant sur la victoire de LIVOURNE suivant la formule de pari “ 1N2 handicap”. Ce pari affichait une cote de 4,20.
Le même jour, à 8h30, la SA LA FRANCAISE DES JEUX considérant qu’il existait pour ce jeu des comportements anormaux laissant craindre un risque de fraude par blanchiment d’argent, interrompait les prises de jeu vers 9 h et annulait les paris
déjà enregistrés le 7 janvier 2011 à 19h30, avant la rencontre sportive. Elle considérait alors que tous paris étaient gagnants et passaient leur côte à 1.
Par acte du 15 mars 2011 M. G. fait assigner la FRANCAISE DES JEUX devant le Tribunal de Grande Instance de Carcassonne afin d’obtenir sa condamnation à lui payer les sommes suivantes :
- 19 140 € au titre des paris joués,
- 3000€ au titre des dommages et intérêts pour résistance
abusive,
La FRANCAISE DES JEUX a conclu au débouté en faisant valoir :
- qu’elle a fait la stricte application des articles 6-9- et 5-7 du règlement de la FRANCAISE DES JEUX ainsi que des textes législatifs et réglementaires applicables et notamment de l’article1er du décret du 1 avril 1985 visé er par le règlement,
- qu’elle n’a commis aucune faute,
- que Monsieur G. n’a subi aucun préjudice du fait de l’annulation du pari,
- que cette annulation est légitime,
- qu’elle offre de verser à M. G. les mises des reçus non remboursés soit 2500€ contre remises des dits reçus,
Par jugement du 3 mai 2012 le Tribunal a débouté M. G. de ses demandes.
APPEL
Appelant de ce jugement M. G. conclut en sa réformation :
à titre principal : à la condamnation de la FRANCAISE DES JEUX à lui payer la somme de 19 140€ au titre des paris engagés outre celle de 3000€ à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 5000€ au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
à titre subsidiaire : à une mesure d’expertise informatique,
Il fait valoir :
- qu’il a fait ces paris de bonne foi,
- que l’annulation prononcée par la FRANCAISE DES JEUX le 6 janvier 2011 à 9h04 n’ a pu avoir d’effet rétroactif sur les paris faits le même à 8h,
- que la cote 4,20 a été fixé par la FRANCAISE DES JEUX elle même,
-que si cette cote est erronée la FRANCAISE DES JEUX ne peut s’en prendre qu’à elle même,
- qu’aucun indice sérieux de fraude n’a été relevé à l’occasion de ces paris,
- qu’aucune enquête n’a été diligentée,
- qu’aucune demande d’enquête n’a été formulée par la FRANCAISE DES JEUX,
- que les flux financiers concernant le pari handicap n°18 choisi s’explique par la cote retenue de 4,20,
- que la presse a condamné l’attitude de la FRANCAISE DES JEUX relativement à ces paris,
- que par application des articles L. 961-16 et L961-10-2 du CMF pris en matière de lutte contre le blanchissement de capitaux la FRANCAISE DES JEUX ne pouvait que suspendre le paiement dans l’attente d’investigations complémentaires mais non annuler les paris sans réaliser les dites investigations,
- que les articles 6-9 et 5-7 du règlement de la FRANCAISE DES JEUX ne visent que la fraude pesant sur une manifestation sportive et non le blanchiment de capitaux,
- qu’à la suite de ces événements la FRANCAISE DES JEUX a modifié son règlement pour y inclure une nouvelle disposition lui permettant d’annuler un pari s’il se révélait une erreur manifeste portant sur tout ou partie des éléments constitutifs , de l’offre de pari proposé aux joueurs (article 5-6),
La FRANCAISE DES JEUX conclut à la confirmation du jugement et réclame 5000€ au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir :
- que l’équipe de LIVOURNE affichait un cote de 4,20 et celle de FROSINONE de 1, 35,
- qu’ayant constaté des irrégularités et des comportements de jeux frauduleux elle a été contrainte par les textes d’interrompre les prises de jeux et d’annuler les paris avant la rencontre qui n’a au lieu qu’à 20h45 le 7 janvier 2011,
- qu’elle a communiqué cette décision à l’ensemble de ses détaillants de la FRANCAISE DES JEUX par messages diffusés à travers les terminaux auxquels sont reliés les détaillants,
- que par suite le requérant n’a pu ignorer cette décision,
- qu’elle doit aux termes du décret du 96-11-78 et du 01-
04-85 prévenir les risques d’exploitation des jeux à des fins frauduleuses,
- qu’en acceptant de jouer, le requérant a adhéré au règlement de la FRANCAISE DES JEUX,
- qu’elle n’a commis aucune faute au regard de ces textes,
- que le 6 janvier 2011 à 9 h soit quelques heures après l’ouverture du pari ( 5 H 11) ce dernier avait déjà généré 216 636 € de chiffre d’affaires alors qu’il s’agissait d’un match de 2 division devant avoir lieu ème le lendemain soit,
- que ce chiffre d’affaire était anormalement élevé,
- que les risques de blanchiment était d’autant plus élevé qu’elle avait pu constater que de nombreux joueurs avaient adopté une stratégie de couverture permettant de gagner quelque soit le résultat de la rencontre en jouant le pari n° 17 “1N2" et le pari n°18 “1N2 handicap” ,
- que le chiffre d’affaires réalisé sur ces deux formules était respectivement de 216 636 e et 242 340 €,
- que 43% de ces chiffres d’affaires ont été réalisés dans le département des Bouches du Rhône,
- que les championnats italiens sont propices aux fraudes et blanchiment d’argent,
- qu’il ne s’agit pas d’une erreur de cote comme le soutient le requérant,
- que la tentative de fraude ne concerne pas la rencontre sportive elle même mais les paris N° 17 et 18 uniquement,
- que par suite aucune investigation ne s’imposait,
- que sa décision a été faite dans le respect des dispositions du C.M.F. après examen de la situation et un rapport du département sécurité des jeux,
- que le requérant ne subit aucun préjudice car le pari a été annulé avant le début du match et que les paris n° 17 et 18 seront remboursés,
- que la demande d’expertise ne peut avoir pour objet de pallier les carences du requérant dans l’administration de la preuve,
MOTIFS
Aux termes des dispositions des articles 9 et 6-9 du règlement de la FRANCAISE DES JEUX dont il n’est pas contestable qu’il s’impose à tous les parieurs, la FRANCAISE DES JEUX peut procéder à la suspension puis à l’annulation des
paris en cas de fraude ou de soupçon de fraude.
D’autre part la FRANCAISE DES JEUX doit aux termes des dispositions du CMF (article 1561-2) s’abstenir d’effectuer toute opération dont elle soupçonne qu’elle soit liée au blanchiment de capitaux.
Pour justifier l’annulation des paris n° 17 et 18 la FRANCAISE DES JEUX fait état de soupçon de fraude portant non sur le match lui même mais sur les paris compte tenu d’une part du chiffre d’affaire anormalement élevé généré par les formules en cause (n° 17 et 18) peu après l’ouverture des paris et d’autre part la localisation des parieurs (43% du chiffre d’affaire ayant été généré dans le département des Bouches du Rhône, étant observé selon elle que cette suspiscion est corroborée et aggravée
par le fait que les équipes en présence sont toutes italiennes et que le match se joue en ITALIE. L’ensemble de ces éléments ne saurait cependant suffire à établir une fraude ou un soupçon de fraude.
Le chiffre d’affaire généré par les paris n° 17 et 18 peut s’expliquer par la cotation 4, 20 attaché à ces paris et la quasi certitude pour les parieurs, compte tenu de cette cotation de rentabiliser leur pari.
De même le 43% du chiffre d’affaires généré par ces paris provenant du département des bouches du Rhône peut s’expliquer par la proximité de la région PACA avec l’Italie et l’attrait que peuvent présenter les équipes italienne fussent-elles de 2ème division.
Quant à la suspicion résultant du lieu où se jouait le match et la nationalité des équipes en cause, il convient d’observer que la FRANCAISE DES JEUX a elle même conclu à l’absence de fraude dans le déroulement de la rencontre.
Il convient eu égard à l’ensemble de ces éléments de réformer le jugement entrepris et de condamner LA FRANCAISE DES JEUX à payer à M. G. la somme de 19 140 € dont il justifie le montant.
Sur la demande de dommages et intérêts :
En l’absence de tout élément a caractérisé un soupçon de fraude c’est à tort que la FRANCAISE DES JEUX refuse depuis plus de deux ans de payer le montant des paris. Il convient de réparer le préjudice causé au requérant à hauteur de 2000€.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Réforme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Condamne la Société FRANCAISE DES JEUX à payer M. G. la somme de 19 140 € outre celle de 2000 € à titre de dommages et intéréts,
Condamne la Société FRANCAISE DES JEUX à payer la somme de 2000€ à la SCP d’avocats TOUCHELON-JOLY en application de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991,
Condamne la Société FRANCAISE DES JEUX aux dépens d’appel et de première instance avec application de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
MM/AP
Posté par :
+Matthieu Escande
Docteur en Droit / Ph.D in Law
Elève avocat / Trainee Lawyer