Cette tribune a été rédigée en janvier 2011 pour IGA Magazine. Cet article est retranscrit au format numérique pour les lecteurs du site droit-jeu-pari.com.
L’analyse du marché des jeux et paris en ligne à travers le droit de la concurrence se révèle comme une nécessité en raison des nouveautés créées dans le secteur. Le 12 mai 2010, la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne est venue modifier un bon nombre d’aspects juridiques. Ceci permet aujourd’hui la libre concurrence sur le réseau internet entre opérateurs ayant reçu un agrément octroyé par l’ARJEL. À cet égard, plusieurs points ont attiré notre attention. Toutefois, les éléments explorés dans cette tribune ne doivent pas être considérés comme exhaustifs car bien d’autres situations peuvent venir s’ajouter au fil du temps en fonction de l’évolution de ce secteur. Nous considérons qu’il s’agit des principales distorsions qui peuvent surgir en l’état actuel du marché. Nous verrons ainsi que (I) la convention d’organisation de paris et (II) les asymétries entre les opérateurs actuellement pourvus d’un agrément sont deux facteurs de distorsion de la concurrence.
I. LA CONVENTION D’ORGANISATION DE PARIS
La convention d’organisation de paris, encore appelé “droit au pari” est l’un des éléments susceptibles de distorsion en matière de concurrence. En effet, l’ensemble des relations nouées entre les opérateurs de paris en ligne et les fédérations sportives est d’ailleurs le premier point retenu par l’Autorité de la concurrence lors de sa décision rendue le 15 septembre 2010. Rappelons également que le décret du 7 juin 2010 instituant le “droit au pari” a été l’objet de grief devant le Conseil d’État (1) par la Société BetClic. Cependant, l’opérateur n’a pas trouvé échos devant la Haute Cour administrative, celle-ci considérant la demande de BetClic mal fondée.
A) QUEL EST LE PRINCIPE ?
Le contrat de “droit au pari” repose sur le principe de non discrimination qui est l’un des éléments essentiels sur lequel est fondé l’octroi de ce “droit au pari”. Il s’agit d’un principe général du Droit qui est souvent rappelé par la CJUE (anciennement CJCE) dans ses décisions (2) mais c’est également l’un des piliers de la libre concurrence. Aussi, dans ce domaine la convention dite “de droit au pari” ne fait pas exception. L’article 63 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 (relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne) qui a inséré l’article L333-1-2 dans le code du sport énonce clairement que “Les fédérations sportives et organisateurs de manifestations sportives ne peuvent ni attribuer à un opérateur le droit exclusif d’organiser des paris ni exercer une discrimination entre les opérateurs agréés pour une même catégorie de paris”. Toutefois, nous savons qu’il existe bien souvent une marge entre la volonté du législateur et la réalisation du droit par les individus. C’est pour ces motifs que l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office et conformément aux conditions prévues à l’article L. 462-4 du code de commerce afin de porter à la connaissance du public certains éclaircissements sur des points d’ombre spécifiques relatifs au marché français des jeux et paris en ligne.
B) QUELS SONT LES RISQUES?
Alors, l’octroi de droits réalisé de manière non discriminatoire implique que certaines pratiques ou certains actes ne doivent pas être accomplis par les acteurs du secteur et ceci afin de ne pas porter atteinte à la libre concurrence exigée par la loi. Voici quelques exemples:
1. Des accords d’exclusivité ne peuvent pas être concédés par une fédération sportive à un opérateur sans violer l’article L.333-1-2 du code du sport, l’article 1er du décret du 7 juin 2010 ainsi que l’esprit de la loi du 12 mai 2010 ayant pour objectif principal “l’ouverture à la concurrence et la régulation du secteur”. De tels agissements constitueraient des risques manifestes de conflit d’intérêts entre l’organisateur de manifestation sportive et l’opérateur de jeux bénéficiant de cet avantage. L’octroi de droits exclusifs pur et simple au vu et au su de tous serait une situation peu envisageable. Si par extraordinaire cela venait à arriver, le préjudice subi par les autres opérateurs serait rapidement corrigé et réparé. En revanche, une discrimination ou une exclusivité opérée de manière déguisée serait beaucoup plus probable. Cette éventualité pourrait être caractérisée par une transmission de bases de données de la fédération sportive à un opérateur de paris sportifs avec qui une entente secrète existe. Ce cyber-bookmaker n’aurait plus qu’à utiliser par exemple les adresses électroniques remises par la fédération sportive lui permettant ainsi de cibler sa publicité et transmettre ses offres directement aux passionnés inscrits dans ces bases de données.
2. Un deuxième critère serait susceptible d’enfreindre les règles concurrentielles du secteur des jeux français. Il concerne les rabais donnés aux opérateurs par les fédérations en fonction du volume de paris engagés. De telles conditions profiteraient aux grands opérateurs. L’article 3 du décret n° 2010-614 du 7 juin 2010 relatif aux conditions de commercialisation des droits portant sur l’organisation de paris en relation avec une manifestation ou compétition sportive dispose que: “Le prix en contrepartie de l’attribution du droit d’organiser des paris s’exprime en proportion des mises”. Cela ne signifie en aucun cas qu’un opérateur est la possibilité de profiter d’une économie d’échelle parce que le volume de paris qu’il génère est suffisant ou supérieur à une certaine quantité de paris. Jean-FrançoisVilotte rappelle clairement l’esprit de la loi nouvelle dans une interview: “L’objectif de la loi de mai 2010, ce n’est pas l’explosion du marché des paris en ligne, mais la régulation d’une activité qui présente des risques d’ordre public et social” (3). Il faut comprendre de cet article 3 que la rétribution donnée aux fédérations sportives n’est pas forfaitaire. Il s’agit d’un pourcentage fixe et non discriminatoire appliqué sur les mises.
3. Enfin, l’article L. 333-1-3 du code du sport énonce le droit dévolu aux fédérations sportives de concéder des actifs incorporels aux opérateurs de paris en ligne. La signification d’actifs incorporels renvoie à des notions telles que les marques ou encore les signes distinctifs. Ainsi, le droit de présenter le logo d’une fédération de manière exclusive en tant qu’opérateur doit être également considéré comme inégalitaire et discriminatoire dans le cas où cela se produirait. Nous pouvons par ailleurs nous rappeler de l’affaire Unibet c/ la F.F.T (4) lorsque le cyberbookmaker avait utilisé les termes “RG Roland Garros” sur son site. Les termes “Roland Garros” sont une marque appartenant à la Fédération française de tennis. Chaque fédération est aujourd’hui en mesure de concéder de façon temporaire le nom (en qualité de marque) qu’il attribue à une compétition sportive de même que le logo qui s’y rattache. Il en résulte que tous les éléments connexes à une compétition et l’organisation de celle-ci comme le logo par exemple sont inhérents à l’octroi de droits d’organiser des paris. Par conséquent, si un opérateur bénéficie d’un droit à utiliser un logo, les autres opérateurs doivent également bénéficier de ce droit à condition bien sûr que le cyberbookmaker en ait fait la demande (article 2 du Décret n° 2010-614 du 7 juin 2010 relatif aux conditions de commercialisation des droits portant sur l’organisation de paris en relation avec une manifestation ou compétition sportive).
II. LES ASYMÉTRIES ENTRE LES OPÉRATEURS SUR LE MARCHÉ DES JEUX ET PARIS EN LIGNE
Nous nous situons aujourd’hui dans les premiers pas de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.Ce texte est entré en vigueur il y a moins d’un an mais cela ne veut pas dire que le marché des jeux et paris était inexistant avant l’apparition de cette loi. Bien au contraire, cette loi d’ouverture et de régulation a affecté comme son nom l’indique (A) les opérateurs historiques détenteurs de monopole et (B) les opérateurs qualifiés d’illégaux par le droit français antérieurement à la régulation du marché.
A) QUELLE EST LA SITUATION DES OPÉRATEURS HISTORIQUES ?
Les opérateurs historiques, la Française des jeux (FDJ) et le Pari mutuel urbain (PMU) ont obtenu l’autorisation par décret d’étendre leur monopole sur l’internet (La FDJ en avril 2001et le PMU en août 2001). Aujourd’hui, les monopoles de paris sportifs et de paris sur les courses hippiques ont été abolis par la loi du 12 mai 2010. Ce monopole avait pour seul et unique objet la prise de paris sur l’internet (exclusion faite des loteries et des jeux à gratter pour la FDJ). Nous savons tous qu’avant l’avènement de l’internet La FDJ et le PMU détenaient en France un monopole dans leur domaine respectif. Ces monopoles de prises de paris en dehors du cyberespace perdurent toujours. Aussi, force est de constater qu’un déséquilibre majeur profite aux opérateurs historiques car il serait aberrant de penser que le secteur des paris sportifs ou hippiques se segmente en deux parties distinctes. Selon le régime juridique français actuel, il y aurait deux secteurs. Un premier secteur dans lequel la prise de paris s’effectue de façon physique, c’est-à-dire en cochant des grilles et la remise d’un ticket papier, puis il y aurait un second secteur qui se caractérise par la prise de paris de manière virtuelle, devant son écran d’ordinateur ou avec son téléphone portable. Pour justifier une telle distorsion de la concurrence, le législateur français doit légitimer cette situation en créant une fiction juridique qui se présente sous une forme de segmentation de l’organisation des paris sportifs.Or, tout le monde sait pertinemment, le législateur, les opérateurs historiques ou nouveaux ainsi que les parieurs eux-mêmes que l’action de parier n’est pas sectorisée comme le prévoit la loi. Il s’agit juste pour les parieurs d’avoir des moyens ou des accès supplémentaires pour accomplir leurs paris. Par conséquent, les monopoles toujours détenus par la FDJ et le PMU sont injustifiés si l’on considère qu’il y a un seul et même marché du pari. La distinction entre les deux modes de prise de paris (réel ou virtuel) est mal fondée. Dès lors, l’utilisation des bases de données, les publicités ainsi que le financement de ces réclames apparaissent comme déloyaux à l’égard des nouveaux arrivants sur le marché du pari. Aussi, l’Autorité de la concurrence aura l’occasion de répondre directement à cette question très prochainement. Ajoutons que ces incohérences nous conduisent à penser que les monopoles actuels en matière de paris réservés à la FDJ et au PMU ne pourront pas être maintenus pour les raisons évidentes qui viennent d’être soulevées. D’ailleurs, cette situation boiteuse n’échappera pas bien longtemps à la Commission européenne ou à la CJUE.
B) QUELLE EST LA SITUATION DES ANCIENS OPÉRATEURS ILLÉGAUX ?
Plusieurs points peuvent être évoqués. Par exemple le député Gaétan Gorce dans sa question posée à deux reprises (5) à l’Assemblée nationale illustre bien l’inégalité qui subsiste entre les opérateurs. En l’espèce, il a été évoqué le non respect de l’article 17 alinéa 3 de la loi du 12 mai 2010. Cette disposition édicte que: “L’ouverture d’un compte joueur ne peut être réalisée qu’à l’initiative de son titulaire et après sa demande expresse, à l’exclusion de toute procédure automatique”. Il est vrai que certains opérateurs n’ont pas respecté cet article puisque, la démarche des joueurs n’était ni volontaire ni expresse. Certains cyberopérateurs proposaient un basculement de compte en régularisant les comptes joueurs par la transmission de documents imposés par la loi avec un passage en nom de domaine de “.com” en “.fr”. Là encore, les opérateurs anciennement illégaux bénéficient d’un avantage de taille puisqu’ils étaient en mesure de récupérer leur ancienne clientèle en la régularisant. Si ces dispositifs avaient pour objet de mettre sur un pied d’égalité, il suffisait pour certains de ne pas respecter ce texte afin d’avoir plusieurs longueurs d’avance voire même conserver la majorité de leur portefeuille client. Une concurrence loyale doit avoir comme vertu une égalité surtout lorsque la course débute le même jour c’est-à-dire le 13 mai 2010. La récupération des clients en violation des modalités obligatoires d’ouverture de compte est un élément extrêmement important dans l’appropriation des parts de marché. Généralement, un joueur crée un compte, pas deux, la plupart du temps chez un cyberbookmaker ou chez un opérateur proposant du poker. Or, ce type de litige ne verra probablement jamais le jour car c’est l’heure de l’organisation pour chaque opérateur et non pas le moment de la guerre. Cela est surtout vrai pour les victimes, ceux qui subissent en d’autres termes les nouveaux opérateurs. Ils sont encore trop fragiles avec quelques mois d’existence pour se lancer dans de telles procédures ayant la plupart du temps une issue incertaine et une longueur certaine dans la procédure.
QUELLES PROCÉDURES POUR QUELLES SANCTIONS?
De façon générale, la victime peut opter entre deux voies procédurales. Elle peut tout d’abord saisir l’Autorité de la concurrence et s’appuyer par la suite sur la décision rendue pour motiver sa position et ses arguments devant le juge. Ce premier choix peut se révéler particulièrement long, mais d’un autre côté elle renforce les chances de succès du demandeur lorsqu’il saisit le juge. La seconde voie est de saisir directement le juge. Le choix de cette seconde option peut parfois réduire sensiblement la durée de la procédure pour les affaires les moins complexes. Néanmoins, dans certain cas le juge peut être amené à consulter l’Autorité de la concurrence comme le prévoit l’article L. 462-3 du code de commerce, la Commission européenne (CE du 15 octobre 1997), ou encore la Cour de justice de l’Union européenne en vertu du Traité de Rome (article 234, ancien article 177). Un avis émanant de la CJUE aurait pour avantage de réduire les délais. En toutes hypothèses, il n’y a rien d’attirant pour de nouveaux opérateurs qui doivent bon gré mal gré être en compétition avec de grands opérateurs européens ou encore avec le PMU et la FDJ. Concernant les sanctions, elles peuvent se présenter sous la forme soit de dommages et intérêts pour la réparation du préjudice, soit par une astreinte afin de faire cesser les troubles de concurrence déloyale ou encore la sanction peut être les deux à la fois. Il est également possible d’envisager la sanction professionnelle d’un opérateur qui se traduirait par la suspension de l’agrément octroyé par l’ARJEL. L'Autorité de la concurrence aura l’occasion de nous éclairer lorsqu’elle rendra sa décision. Il est difficile de prédire les éléments qui seront retenus par l’Autorité. Néanmoins, la saisine d’office est déjà un signe, la preuve que des faisceaux d’indices d’une irrégularité planent au-dessus du marché des jeux et paris en ligne en France. Notons enfin que la concurrence déloyale ne se présume pas donc tout reste à démontrer.
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I. LA CONVENTION D’ORGANISATION DE PARIS
La convention d’organisation de paris, encore appelé “droit au pari” est l’un des éléments susceptibles de distorsion en matière de concurrence. En effet, l’ensemble des relations nouées entre les opérateurs de paris en ligne et les fédérations sportives est d’ailleurs le premier point retenu par l’Autorité de la concurrence lors de sa décision rendue le 15 septembre 2010. Rappelons également que le décret du 7 juin 2010 instituant le “droit au pari” a été l’objet de grief devant le Conseil d’État (1) par la Société BetClic. Cependant, l’opérateur n’a pas trouvé échos devant la Haute Cour administrative, celle-ci considérant la demande de BetClic mal fondée.
A) QUEL EST LE PRINCIPE ?
Le contrat de “droit au pari” repose sur le principe de non discrimination qui est l’un des éléments essentiels sur lequel est fondé l’octroi de ce “droit au pari”. Il s’agit d’un principe général du Droit qui est souvent rappelé par la CJUE (anciennement CJCE) dans ses décisions (2) mais c’est également l’un des piliers de la libre concurrence. Aussi, dans ce domaine la convention dite “de droit au pari” ne fait pas exception. L’article 63 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 (relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne) qui a inséré l’article L333-1-2 dans le code du sport énonce clairement que “Les fédérations sportives et organisateurs de manifestations sportives ne peuvent ni attribuer à un opérateur le droit exclusif d’organiser des paris ni exercer une discrimination entre les opérateurs agréés pour une même catégorie de paris”. Toutefois, nous savons qu’il existe bien souvent une marge entre la volonté du législateur et la réalisation du droit par les individus. C’est pour ces motifs que l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office et conformément aux conditions prévues à l’article L. 462-4 du code de commerce afin de porter à la connaissance du public certains éclaircissements sur des points d’ombre spécifiques relatifs au marché français des jeux et paris en ligne.
B) QUELS SONT LES RISQUES?
Alors, l’octroi de droits réalisé de manière non discriminatoire implique que certaines pratiques ou certains actes ne doivent pas être accomplis par les acteurs du secteur et ceci afin de ne pas porter atteinte à la libre concurrence exigée par la loi. Voici quelques exemples:
1. Des accords d’exclusivité ne peuvent pas être concédés par une fédération sportive à un opérateur sans violer l’article L.333-1-2 du code du sport, l’article 1er du décret du 7 juin 2010 ainsi que l’esprit de la loi du 12 mai 2010 ayant pour objectif principal “l’ouverture à la concurrence et la régulation du secteur”. De tels agissements constitueraient des risques manifestes de conflit d’intérêts entre l’organisateur de manifestation sportive et l’opérateur de jeux bénéficiant de cet avantage. L’octroi de droits exclusifs pur et simple au vu et au su de tous serait une situation peu envisageable. Si par extraordinaire cela venait à arriver, le préjudice subi par les autres opérateurs serait rapidement corrigé et réparé. En revanche, une discrimination ou une exclusivité opérée de manière déguisée serait beaucoup plus probable. Cette éventualité pourrait être caractérisée par une transmission de bases de données de la fédération sportive à un opérateur de paris sportifs avec qui une entente secrète existe. Ce cyber-bookmaker n’aurait plus qu’à utiliser par exemple les adresses électroniques remises par la fédération sportive lui permettant ainsi de cibler sa publicité et transmettre ses offres directement aux passionnés inscrits dans ces bases de données.
2. Un deuxième critère serait susceptible d’enfreindre les règles concurrentielles du secteur des jeux français. Il concerne les rabais donnés aux opérateurs par les fédérations en fonction du volume de paris engagés. De telles conditions profiteraient aux grands opérateurs. L’article 3 du décret n° 2010-614 du 7 juin 2010 relatif aux conditions de commercialisation des droits portant sur l’organisation de paris en relation avec une manifestation ou compétition sportive dispose que: “Le prix en contrepartie de l’attribution du droit d’organiser des paris s’exprime en proportion des mises”. Cela ne signifie en aucun cas qu’un opérateur est la possibilité de profiter d’une économie d’échelle parce que le volume de paris qu’il génère est suffisant ou supérieur à une certaine quantité de paris. Jean-FrançoisVilotte rappelle clairement l’esprit de la loi nouvelle dans une interview: “L’objectif de la loi de mai 2010, ce n’est pas l’explosion du marché des paris en ligne, mais la régulation d’une activité qui présente des risques d’ordre public et social” (3). Il faut comprendre de cet article 3 que la rétribution donnée aux fédérations sportives n’est pas forfaitaire. Il s’agit d’un pourcentage fixe et non discriminatoire appliqué sur les mises.
3. Enfin, l’article L. 333-1-3 du code du sport énonce le droit dévolu aux fédérations sportives de concéder des actifs incorporels aux opérateurs de paris en ligne. La signification d’actifs incorporels renvoie à des notions telles que les marques ou encore les signes distinctifs. Ainsi, le droit de présenter le logo d’une fédération de manière exclusive en tant qu’opérateur doit être également considéré comme inégalitaire et discriminatoire dans le cas où cela se produirait. Nous pouvons par ailleurs nous rappeler de l’affaire Unibet c/ la F.F.T (4) lorsque le cyberbookmaker avait utilisé les termes “RG Roland Garros” sur son site. Les termes “Roland Garros” sont une marque appartenant à la Fédération française de tennis. Chaque fédération est aujourd’hui en mesure de concéder de façon temporaire le nom (en qualité de marque) qu’il attribue à une compétition sportive de même que le logo qui s’y rattache. Il en résulte que tous les éléments connexes à une compétition et l’organisation de celle-ci comme le logo par exemple sont inhérents à l’octroi de droits d’organiser des paris. Par conséquent, si un opérateur bénéficie d’un droit à utiliser un logo, les autres opérateurs doivent également bénéficier de ce droit à condition bien sûr que le cyberbookmaker en ait fait la demande (article 2 du Décret n° 2010-614 du 7 juin 2010 relatif aux conditions de commercialisation des droits portant sur l’organisation de paris en relation avec une manifestation ou compétition sportive).
II. LES ASYMÉTRIES ENTRE LES OPÉRATEURS SUR LE MARCHÉ DES JEUX ET PARIS EN LIGNE
Nous nous situons aujourd’hui dans les premiers pas de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.Ce texte est entré en vigueur il y a moins d’un an mais cela ne veut pas dire que le marché des jeux et paris était inexistant avant l’apparition de cette loi. Bien au contraire, cette loi d’ouverture et de régulation a affecté comme son nom l’indique (A) les opérateurs historiques détenteurs de monopole et (B) les opérateurs qualifiés d’illégaux par le droit français antérieurement à la régulation du marché.
A) QUELLE EST LA SITUATION DES OPÉRATEURS HISTORIQUES ?
Les opérateurs historiques, la Française des jeux (FDJ) et le Pari mutuel urbain (PMU) ont obtenu l’autorisation par décret d’étendre leur monopole sur l’internet (La FDJ en avril 2001et le PMU en août 2001). Aujourd’hui, les monopoles de paris sportifs et de paris sur les courses hippiques ont été abolis par la loi du 12 mai 2010. Ce monopole avait pour seul et unique objet la prise de paris sur l’internet (exclusion faite des loteries et des jeux à gratter pour la FDJ). Nous savons tous qu’avant l’avènement de l’internet La FDJ et le PMU détenaient en France un monopole dans leur domaine respectif. Ces monopoles de prises de paris en dehors du cyberespace perdurent toujours. Aussi, force est de constater qu’un déséquilibre majeur profite aux opérateurs historiques car il serait aberrant de penser que le secteur des paris sportifs ou hippiques se segmente en deux parties distinctes. Selon le régime juridique français actuel, il y aurait deux secteurs. Un premier secteur dans lequel la prise de paris s’effectue de façon physique, c’est-à-dire en cochant des grilles et la remise d’un ticket papier, puis il y aurait un second secteur qui se caractérise par la prise de paris de manière virtuelle, devant son écran d’ordinateur ou avec son téléphone portable. Pour justifier une telle distorsion de la concurrence, le législateur français doit légitimer cette situation en créant une fiction juridique qui se présente sous une forme de segmentation de l’organisation des paris sportifs.Or, tout le monde sait pertinemment, le législateur, les opérateurs historiques ou nouveaux ainsi que les parieurs eux-mêmes que l’action de parier n’est pas sectorisée comme le prévoit la loi. Il s’agit juste pour les parieurs d’avoir des moyens ou des accès supplémentaires pour accomplir leurs paris. Par conséquent, les monopoles toujours détenus par la FDJ et le PMU sont injustifiés si l’on considère qu’il y a un seul et même marché du pari. La distinction entre les deux modes de prise de paris (réel ou virtuel) est mal fondée. Dès lors, l’utilisation des bases de données, les publicités ainsi que le financement de ces réclames apparaissent comme déloyaux à l’égard des nouveaux arrivants sur le marché du pari. Aussi, l’Autorité de la concurrence aura l’occasion de répondre directement à cette question très prochainement. Ajoutons que ces incohérences nous conduisent à penser que les monopoles actuels en matière de paris réservés à la FDJ et au PMU ne pourront pas être maintenus pour les raisons évidentes qui viennent d’être soulevées. D’ailleurs, cette situation boiteuse n’échappera pas bien longtemps à la Commission européenne ou à la CJUE.
B) QUELLE EST LA SITUATION DES ANCIENS OPÉRATEURS ILLÉGAUX ?
Plusieurs points peuvent être évoqués. Par exemple le député Gaétan Gorce dans sa question posée à deux reprises (5) à l’Assemblée nationale illustre bien l’inégalité qui subsiste entre les opérateurs. En l’espèce, il a été évoqué le non respect de l’article 17 alinéa 3 de la loi du 12 mai 2010. Cette disposition édicte que: “L’ouverture d’un compte joueur ne peut être réalisée qu’à l’initiative de son titulaire et après sa demande expresse, à l’exclusion de toute procédure automatique”. Il est vrai que certains opérateurs n’ont pas respecté cet article puisque, la démarche des joueurs n’était ni volontaire ni expresse. Certains cyberopérateurs proposaient un basculement de compte en régularisant les comptes joueurs par la transmission de documents imposés par la loi avec un passage en nom de domaine de “.com” en “.fr”. Là encore, les opérateurs anciennement illégaux bénéficient d’un avantage de taille puisqu’ils étaient en mesure de récupérer leur ancienne clientèle en la régularisant. Si ces dispositifs avaient pour objet de mettre sur un pied d’égalité, il suffisait pour certains de ne pas respecter ce texte afin d’avoir plusieurs longueurs d’avance voire même conserver la majorité de leur portefeuille client. Une concurrence loyale doit avoir comme vertu une égalité surtout lorsque la course débute le même jour c’est-à-dire le 13 mai 2010. La récupération des clients en violation des modalités obligatoires d’ouverture de compte est un élément extrêmement important dans l’appropriation des parts de marché. Généralement, un joueur crée un compte, pas deux, la plupart du temps chez un cyberbookmaker ou chez un opérateur proposant du poker. Or, ce type de litige ne verra probablement jamais le jour car c’est l’heure de l’organisation pour chaque opérateur et non pas le moment de la guerre. Cela est surtout vrai pour les victimes, ceux qui subissent en d’autres termes les nouveaux opérateurs. Ils sont encore trop fragiles avec quelques mois d’existence pour se lancer dans de telles procédures ayant la plupart du temps une issue incertaine et une longueur certaine dans la procédure.
QUELLES PROCÉDURES POUR QUELLES SANCTIONS?
De façon générale, la victime peut opter entre deux voies procédurales. Elle peut tout d’abord saisir l’Autorité de la concurrence et s’appuyer par la suite sur la décision rendue pour motiver sa position et ses arguments devant le juge. Ce premier choix peut se révéler particulièrement long, mais d’un autre côté elle renforce les chances de succès du demandeur lorsqu’il saisit le juge. La seconde voie est de saisir directement le juge. Le choix de cette seconde option peut parfois réduire sensiblement la durée de la procédure pour les affaires les moins complexes. Néanmoins, dans certain cas le juge peut être amené à consulter l’Autorité de la concurrence comme le prévoit l’article L. 462-3 du code de commerce, la Commission européenne (CE du 15 octobre 1997), ou encore la Cour de justice de l’Union européenne en vertu du Traité de Rome (article 234, ancien article 177). Un avis émanant de la CJUE aurait pour avantage de réduire les délais. En toutes hypothèses, il n’y a rien d’attirant pour de nouveaux opérateurs qui doivent bon gré mal gré être en compétition avec de grands opérateurs européens ou encore avec le PMU et la FDJ. Concernant les sanctions, elles peuvent se présenter sous la forme soit de dommages et intérêts pour la réparation du préjudice, soit par une astreinte afin de faire cesser les troubles de concurrence déloyale ou encore la sanction peut être les deux à la fois. Il est également possible d’envisager la sanction professionnelle d’un opérateur qui se traduirait par la suspension de l’agrément octroyé par l’ARJEL. L'Autorité de la concurrence aura l’occasion de nous éclairer lorsqu’elle rendra sa décision. Il est difficile de prédire les éléments qui seront retenus par l’Autorité. Néanmoins, la saisine d’office est déjà un signe, la preuve que des faisceaux d’indices d’une irrégularité planent au-dessus du marché des jeux et paris en ligne en France. Notons enfin que la concurrence déloyale ne se présume pas donc tout reste à démontrer.
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1. CE, 13 oct. 2010, n° 342142, publié au recueil Lebon;
2. CJCE, 6 novembre 2003, [C-243/01,Gambelli]; CJCE, 6 mars 2007, [C-338/04, Placanica ; C-359/04, Palazzese ; C-360/ 04, Sorricchio]; CJCE, 8 septembre 2009 [C42/07, Santa Casa] CJUE, 8 juillet 2010, [C-447/08, SJÖBERG ET C-448/08, GERDIN]; CJUE, 9 septembre 2010 [64/08, CErnst Engelmann];
3. Les Echos,“L’offre illégale est devenue marginale”, 03/12/10
5. JOAN n° 83210, 06/07/2010, p. 7448, Date de changement d’attribution: 14/11/2010, Date de renouvellement: 26/10/2010.
Écrit par :
Matthieu ESCANDE
Docteur en Droit / Ph.D in Law
Spécialiste des jeux d'argent et de hasard