Droit des Jeux d'argent et de hasard: Arrêt Unibet International / F.F.T. CA Paris, 1ère chambre, 14 octobre 2009

1.11.09

Arrêt Unibet International / F.F.T. CA Paris, 1ère chambre, 14 octobre 2009

Arrêt Unibet International / F.F.T. CA Paris, 1ère chambre, 14 octobre 2009





DISCUSSION

Considérant qu’il est constant que la F.F.T., fédération sportive agréée et ayant reçu délégation du ministre des sports au sens, respectivement, des articles L.131-1, L.131-8 et L.131-14 du code du sport, organise des compétitions et notamment chaque année les Championnats Internationaux de France de Roland Garros, et qui est titulaire :
de la marque française semi-figurative « RG Roland Garros », déposée le 3 décembre 1990, renouvelée en 2000, enregistrée sous le numéro 1630774 en classes 3, 6, 9, 14, 16, 18, 22, 24, 25, 26, 28, 32, 35, 41 et 42 et désignant notamment "des services d‘éducation et de divertissement ; l’organisation de concours et de manifestations sportives ; l’attribution de prix ou de récompenses ; la remise de trophées..." ;
de la marque communautaire « Roland Garros French Open », déposée le 31 octobre 2003 et enregistrée sous le numéro 3498276 en classes 3, 6, 9, 12, 14, 16, 18, 20, 22, 24, 25, 26, 28, 30, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 43 et 45 et désignant notamment "le services de jeux électroniques fournis à partir d’une base de données informatique ou via internet ; l’organisation de concours, loteries ..." ;

Que cette fédération, ayant eu son attention attirée, lors des Internationaux de France 2007 qui se déroulaient du 27 mai au 10 juin 2007, par l’organisation de paris en ligne portant précisément sur le tournoi de Roland Garros, accessibles sur le site internet Unibet.com, exploité par la société de droit maltais Unibet, a fait constater :
par procès-verbal dressé le 8 juin 2007 par M. D., huissier, que le site internet Unibet.com, nom de domaine réservé par la société Unibet, affichait plusieurs passage reprenant le nom des Internationaux de France ou celui de Roland Garros, présentait une page d’accueil mentionnant : « Pariez sur les Internationaux de France "[...] Suivez avec attention cette nouvelle journée des Internationaux de France. Pariez aujourd’hui sur les 2 demi-finales homme opposant Roger Federer à Nikolay Davydenko et Novak Djokovic à Rafael Nadal", un calendrier des paris indiquant : « 070609 Samedi 15:00 Roland Garros Finale Femme, 070610 Dimanche 15:00 Roland Garros Finale Homme », et d’autres pages intitulées : « Tennis - Grand Chelem - Roland - Garros Paris sportifs » ou encore : « Tennis - Grand Chelem - Doubles Roland Garros », « Tennis - Grand Chelem - Roland Garros - Dames », « Tennis Grand Chelem Roland Garros »,
par procès-verbal dressé le 25 janvier 2008, la publication sur le site Unibet.com de la mention : « Pariez sur les Internationaux de France - En pariant sur l‘Open d’Australie, Unibet vous offre l’occasion d’assister aux Internationaux de France pour seulement 3 €. Nous allons maintenant vous donner l’opportunité de gagner un week-end à Paris pour vous et la personne de votre choix, afin d’assister aux Internationaux de France. Un pari minimum de 3 € sur n‘importe quel match de l’Open d’Australie vous permettra d’obtenir un ticket pour le tirage au sort. La logique est donc simple... Plus vous pariez plus vous avez de chance de remporter ce prix »,

Que la F.F.T., estimant que Unibet, en exerçant une activité commerciale de prise de paris en ligne, exploitait, sans aucune autorisation, l’événement sportif du tournoi de Roland Garros et ses marques et tirait ainsi des revenus de cette manifestation organisée par elle, a assignée cette société en paiement de dommages-intérêt et aux fins de lui voir interdire la poursuite de telles pratiques sur le fondement de la violation des dispositions de l’article L.333-1 du code du sport, de la contrefaçon de marques et du parasitisme ;

Que le tribunal, par le jugement dont appel, a jugé fondés les griefs de la F.F.T. s’agissant de l’atteinte portée à son droit exclusif d’exploitation de la manifestation et du comportement parasitaire reproché mais n’a pas retenu le grief de contrefaçon et a ainsi partiellement fait droit aux prétentions de la demanderesse et rejeté les demandes reconventionnelles de Unibet ;

Sur le grief d‘atteinte au droit d‘exploitation prévu par l’article L.333-1 du code du sport

Considérant que, pour écarter ce premier grief, Unibet fait valoir, d’une part, que la F.F.T., parce qu’elle n’a pas le droit d’organiser elle-même des paris sportifs, n’a pas d’intérêt à agir, d’autre part, que l’organisation de paris sportifs ne peut être regardé comme une exploitation de la manifestation sportive qui en est le prétexte, enfin, que l’article L.333-1, s’il devait être interprété dans le sens voulu par la F.F.T., serait inapplicable comme comportant une restriction à la libre prestation de service prohibée par le droit communautaire ;

Sur l’intérêt à agir de la F.F.T.

Considérant que Unibet expose qu’en l’état actuel de la législation applicable en France, les paris sportifs sont par principe interdits et que les seules exceptions à ce principe sont en faveur, d’une part, de la Française des jeux, d’autre part du PMU s’agissant du sport hippique ; que, dès lors, la F.F.T., qui ne dispose pas du droit d’organiser elle-même des paris sportifs, n’a pas d’intérêt à contester à d’autres le droit de se livrer à une telle activité, laquelle, par hypothèse, n’est pas susceptible de porter atteinte à un droit dont elle ne dispose pas ;

Mais considérant que l’article L.333-1, alinéa 1, du code du sport dispose « Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l’article L.331-5, sont propriétaires du droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent. » ;

Que la circonstance que la Française des jeux dispose seule, en l’état actuel de la législation nationale, de la prérogative d’organiser des paris sportifs n’implique pas qu’elle soit libre de l’exercer en violation du droit d’exploitation reconnu aux organisateurs des manifestations sportives par les dispositions précitées ;

Que, par ailleurs, le fait que la F.F.T. ne dispose pas du droit d’organiser elle-même des paris sportifs sur le tournoi de Roland Garros ne l’oblige pas à abandonner sans réserve à quiconque cette forme d’exploitation et les profits qui en résultent ;

Que l’échange de correspondances par lequel, en 2008, la Française des jeux a fait part à la F.F.T., sauf objection de sa part, de son intention de proposer des paris sur le vainqueur du tournoi, à quoi la F.F.T. a répondu qu’elle n’y voyait pas d’obstacle, traduit exactement la réalité juridique ci-dessus décrite ;

Considérant qu’il en résulte que la fin de non recevoir opposée par Unibet à raison du monopole détenu par la Française des jeux est inopérante ; que la F.F.T. a en effet qualité pour et intérêt à préserver de toute atteinte le droit, qui lui est reconnu par la loi, l’exploitation de la manifestation sportive qu’elle organise, cet intérêt et cette qualité subsistant indépendamment du caractère licite ou non des faits constitutifs de cette atteinte au regard d’autres normes relatives à l’organisation de paris en ligne et à l’ouverture prévisible de ce marché ;

Qu’il en résulte que la fin de non recevoir opposée par Unibet à la F.F.T. doit être écartée ;

Sur l’organisation de paris sportif comme exploitation de la manifestation sportive

Considérant qu’il est constant que la F.F.T., par application de l’article L.333-1 précédemment reproduit, est propriétaire du droit d’exploitation des Championnats Internationaux de France de tennis de Roland Garros dont elle est l’organisatrice ;

Considérant, en l’absence de toute précision ou distinction prévue par la loi concernant la nature de l’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qui est l’objet du droit de propriété reconnu par ces dispositions, que toute forme d’activité économique, ayant pour finalité de générer un profit, et qui n’aurait pas d’existence si la manifestation sportive dont elle est le prétexte ou le support nécessaire n’existait pas, doit être regardée comme une exploitation au sens de ce texte ;

Considérant que ces dispositions, inspirées par le souci d’intérêt général de réserve au développement du mouvement sportif les flux économiques induits par le succès populaire et commercial des manifestations sportives les plus emblématiques, et, en l’espèce, de prévenir le risque de corruption des joueurs et d’arrangements préalables sur l’issue des compétitions et, par suite, de préservation des valeurs éthiques du sport qu’il appartient aux fédérations sportives de promouvoir, ont pour finalité de garantir aux organisateurs de tels événements le droit de surveiller la circulation de ces mêmes flux économiques ;

Que la circonstance, purement rédactionnelle, que ce texte figure dans le chapitre intitulé « retransmissions sportives » ne peut avoir pour effet de réduire la portée du droit d’exploitation reconnu comme principe en tête de ce chapitre à la seule exploitation audiovisuelle du spectacle que peut constituer la manifestation sportive ; que le fait que, pour l’essentiel, les dispositions suivantes du même chapitre se limitent à développer les conséquences de ce principe dans son application aux retransmissions et à prévoir des aménagements en faveur de l’information du public ne signifie pas que, hors ce seul cas, l’organisateur de manifestation sportive n’aurait d’autre droit sur l’exploitation de celle-ci ;

Considérant qu’Unibet soutient vainement que les paris portent sur des résultats - qu’il s’agisse en l’occurrence, du vainqueur, de la durée de la rencontre, du nombre de jeux, du nombre de fautes ou de points gagnants de chacun des joueurs ... - et que, s’agissant de données factuelles non susceptibles d’appropriation, elles se trouvent nécessairement en dehors du champ du droit d’exploitation ;

Considérant en effet que l’objet du pari n’est évidemment pas le résultat connu mais l’aléa qui n’existe que pour autant que la manifestation se déroule actuellement, et qui, par définition, disparaît une fois celle-ci terminée, l’acquisition du résultat tarissant aussitôt le flux économique généré par l’organisation de paris, ce qui achève de démontrer que ce flux est bien constitutif d’une exploitation de la manifestation sportive qui en est le support ;

Considérant, enfin, qu’il n’y a pas lieu de s’arrêter au pur sophisme par lequel Unibet prétend que l’organisation de paris en ligne devrait être assimilée à l’information du public par voie électronique au sens de l’article L.333-7 du code du sport et bénéficier à ce titre de la même liberté qu’une entreprise de presse ;

Considérant en définitive, que l’organisation de paris sportifs se référant aux compétitions du tournoi de tennis de Roland Garros, telle que mise en oeuvre par Unibet, dont il n’est pas contesté qu’elle consiste en une activité économique destinée à générer des profits, doit être regardée comme une exploitation de cette manifestation sportive de nature à porter atteinte au droit d’exploitation reconnu par l’article L.333-1 du code du sport à la F.F.T., organisatrice de ce tournoi ;

Sur la conformité de l’article L.333-1 au droit communautaire

Considérant que Unibet fait subsidiairement valoir que, à supposer que le droit d’exploitation reconnu par l’article L.333-1 du code du sport s’étende à l’organisation de paris en ligne, l’existence même de ce droit d’exploitation constituerait une entrave à la libre prestation des services interdite par l’article 49 du Traité CE ;

Mais considérant que ce droit d’exploitation, avec les prérogatives qu’il compose, ne constitue pas per se une restriction de nature à prohiber, à gêner ou même seulement à rendre moins attrayante la prestation de service en cause ; qu’il n’est pas en soi porteur d’une discrimination dès lors que, tout au contraire, il place également tout les prestataires de services potentiels, en l’occurrence les organisateurs de paris en ligne, dans un rapport égal avec l’organisateur de manifestation sportive ;

Que seul l’exercice de ce droit par son titulaire, s’il imposait des conditions prohibitives, ou non justifiées, ou disproportionnées, ou discriminatoires, seraient susceptibles de constituer une entrave répréhensible ;

Considérant, en l’espèce, que Unibet admet n’avoir jamais sollicité l’autorisation de la F.F.T. pour exploiter l’offre de paris sur le tournoi de Roland Garros, en sorte que, dès lors que la F.F.T. n’a pas même eu l’occasion de poser une réserve quelconque à l’exercice de cette activité, l’existence de la restriction alléguée n’est pas établie ;

Considérant, en conséquence, que le jugement entrepris sen confirmé en ce qu’il a retenu le principe de la responsabilité de Unibet sur le fondement de l’article 1382 du code civil à raison de l’atteinte par elle portée au droit d’exploitation de la F.F.T. ;

Sur la contrefaçon

Considérant que Unibet ne conteste pas que l’usage du signe « Roland Garros » qui lui est reproché, tel qu’établi par les procès-verbaux de constat mentionnés précédemment, s’inscrit dans le contexte de la vie des affaires ; qu’elle fait cependant valoir qu’elle n’a pas fait usage de ce signe à titre de marque, mais uniquement pour décrire les propriétés spécifiques de ses activités et que le signe a d’ailleurs été utilisé dans son sens usuel du langage courant et à titre d’information, sans créer aucune confusion entre ses activités et celles de la F.F.T. ; qu’elle ajoute que, comme l’a retenu selon elle à juste titre le tribunal, la référence à la marque « Roland Garros » pour indiquer la destination des paris sportifs proposés était nécessaire au sens des dispositions de l’article L.713-6 du code de la propriété intellectuelle selon lesquelles : « l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme : [...] b) référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine [...] » ;

Mais considérant, en premier lieu, que Unibet, dont l’activité consiste à proposer au public des paris se rapportant à un large éventail d’événements notamment sportifs et qui invoque à titre de fait justificatif, comme il sera examiné plus loin, la nécessité de faire usage du signe « Roland Garros » pour que les parieurs potentiels soient en mesure d’identifier le pari proposé par l’événement sportif sur lequel il porte, n’est pas fondée à soutenir que le signe n’est pas utilisé pour distinguer des autres paris ceux qui portent sur le tournoi de Roland Garros ; que, tout au contraire, l’usage du signe « Roland Garros » a dans ce cas pour fonction essentielle de distinguer, parmi l’ensemble des produits de même nature que sont les paris portant notamment sur des événements sportifs, ceux qui portent précisément sur le tournoi éponyme ;

Considérant, en deuxième lieu, que Unibet n’est pas fondée à soutenir que le signe « Roland Garros » aurait été utilisé dans son sens usuel du langage courant et non à titre marque ; qu’en effet le nom de Roland Garros, employé hors du contexte des compétitions de tennis où il n’est précisément employé qu’à titre de marque, renvoie à un personnage emblématique de l’histoire de l’aviation et n’est susceptible d’aucun emploi usuel dans le langage courant pour désigner ou donner des informations sur des paris ;

Considérant, en troisième lieu, que la F.F.T. a déposé la marque française « RG Roland Garros » notamment pour « les services d’éducation et de divertissement ; l‘organisation de concours et de manifestations sportives ; l’attribution de prix ou de récompenses ; la remise de trophées » et la marque communautaire « Roland Garros French Open » notamment pour « le services de jeux électroniques fournis à partir d’une base de données informatique ou via internet ; l’organisation de concours, loteries .. » ; qu’il en résulte que les services de paris en ligne proposés par Unibet sous le signe « Roland Garros » sont identiques, en tout cas similaires ou de même nature que ceux couverts par les marques invoquées ;

Considérant, en dépit de l’avertissement que Unibet se flatte de voir figurer sur la page d’accueil de son site Unibet.com, « Unibet is not affiliated with sports teams, event organisers or players displayed in it websites » (p.83 de ses dernières écritures) au demeurant rédigé en langue anglaise et non compréhensible pour le public des parieurs non anglophones, que, compte tenu de la très grande notoriété de la marque « Roland Garros », au demeurant parfois associée à d’autres marques dans le cadre d’action de promotion commerciale, le public auquel est destiné l’offre de paris de Unibet ne peut que supposer que l’organisation de ces mêmes paris se trouve sous le contrôle ou a en tout cas recueilli l’approbation de la F.F.T. ;

Considérant, en synthèse, que les motifs du jugement entrepris par lesquels le tribunal a retenu que l’usage du signe reproché s’inscrivait dans la vie des affaires, que le signe avait été utilisé à titre de marque dans la fonction d’individualisation des produits et services et que Unibet ne pouvait tirer argument de l’absence prétendue de risque de confusion méritent approbation ;

Considérant, en revanche, qu’il n’y a pas lieu d’écarter la contrefaçon par application des dispositions de l’article L.713-6 du code de la propriété intellectuelle ci-dessus reproduites ;

Considérant en effet qu’il résulte des motifs qui précèdent que le signe « Roland Garros » a été utilisé par Unibet pour distinguer, parmi les paris sur lesquels elle invite ses clients à miser, ceux qui portent sur le tournoi de Roland Garros ; que la cour en a déduit que le signe avait été utilisé pour désigner les produits proposés eux-mêmes ;

Considérant, dès lors, que le même signe ne peut être regardé comme une référence nécessaire pour désigner, non pas le produit proposé lui-même, mais celui auquel il serait destiné ; que, d’ailleurs, le tournoi de Roland Garros ne peut être regardé comme la destination, au sens des dispositions de l’article L.713-6 du code de la propriété intellectuelle visées ci-dessus, des paris proposés par Unibet ; que ces paris ne sont en effet nullement conçus pour satisfaire un besoin ou une utilité quelconque ayant quelque rapport avec l’organisation, le déroulement ou le succès de la manifestation sportive, laquelle ne dépend nullement de l’offre de paris auxquels elle sert de prétexte ;

Considérant, en définitive, que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté la F.F.T. de ses demandes fondées sur la contrefaçon de marques ;

Sur le parasitisme

Considérant que, pour asseoir ses demandes fondées sur des actes de parasitisme, la F.F.T. reproche à Unibet de s’être placée délibérément dans son sillage pour assurer à moindre frais la promotion et le développement de ses activités, en faisant figurer sur la page d’accueil du site Unibet.com les mentions suivantes :
« Pariez sur les Internationaux de France » laissant apparaître le texte : "Suivez avec attention cette nouvelle journée des Internationaux de France. Pariez aujourd‘hui sur les 2 demi-finales homme opposant Roger Federer à Nikolay Davydenko et Novak Djokovic à Rafael Nadal",
« Pariez sur les Internationaux de France - En pariant sur l’Open d’Australie, Unibet vous offre l’occasion d’assister aux Internationaux de France pour seulement 3 €. Nous allons maintenant vous donner l’opportunité de gagner un week-end à Paris pour vous et la personne de votre choix, afin d’assister aux Internationaux de France Un pari minimum de 3 € sur n’importe quel match de l’Open d’Australie vous permettra d’obtenir un ticket pour le tirage au sort. La logique est donc simple... Plus vous pariez, plus vous avez de chance de remporter ce prix » ;

Que, pour conclure au rejet des demandes de la F.F.T. sur ce fondement, Unibet fait valoir, d’une part, que l’existence du droit à l’exploitation reconnu par l’article L.333-1 du code du sport empêche la condamnation pour parasitisme, d’autre part que la faute reprochée n’est pas constituée ;

Mais considérant, sur le premier point, que le fondement des demandes de la F.F.T. en réparation de l’atteinte à son droit à l’exploitation n’est pas le même que celui sur lequel reposent ses prétentions au titre du parasitisme ; que les premières ont pour objet de réparer le préjudice causé par une atteinte au droit de propriété portant sur I’exploitation de la manifestation sportive qu’elle organise, indépendamment de toute considération de renommée de celle-ci, tandis que les secondes, distinctes de la violation du droit à l’exploitation, tendent à sanctionner l’usurpation de la notoriété de cette manifestation dont elle tire profit sans avoir pris aucune part à sa construction ;

Considérant qu’il peut encore être observé que les faits invoqués par la F.F.T. au titre du parasitisme se distinguent de la contrefaçon de marque précédemment examinée et que, d’ailleurs, l’expression « Internationaux de France » est utilisée et répétée non pas seulement pour désigner des paris sur le tournoi de Roland Garros, mais pour promouvoir ceux proposés sur l’Open d’Australie par le biais d’une prime offerte sous forme de la possibilité de gagner un séjour à Paris et la possibilité d’assister au tournoi de Roland Garros ;

Considérant qu’il en résulte que, au contraire de ce que soutien Unibet, les prétentions de la F.F.T. ne sont pas redondantes et ne portent pas sur les mêmes objets ;

Considérant, sur le second point, que le parasitisme économique se définit comme l‘ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ; que, au contraire de ce que fait valoir Unibet, un tel comportement est fautif sans qu’il soit nécessaire de démontrer un risque de confusion ou la recherche d’un avantage concurrentiel au détriment de la victime ; qu’il suffit de caractériser, à la charge du parasite, l’intention de promouvoir sa propre activité commerciale en profitaint gratuitement et sans risque du fruit des efforts de toute nature et des investissements d’autrui ;

Considérant qu’il n’est pas contestable que les Championnats Internationaux de France de tennis de Roland Garros qui ont lieu chaque année depuis 1925 ont acquis une renommée internationale qui se traduit par une valeur économique en constant développement, non seulement par l’exploitation directe des entrées ou des droits de retransmission, mais aussi par des retombées commerciales indirectes auxquelles se trouvent associés les partenaires de la fédération organisatrice ; que la valeur économique à prendre en considération est celle de l’événement sportif lui-même, et non pas les seuls termes « Internationaux de France » comme tente de le faire accroire Unibet ;

Considérant que, en mettant en valeur sur son site internet un ensemble de références au tournoi de tennis de Roland Garros, Unibet, grâce au fonctionnement du réseau internet et des moteurs de recherche, draine potentiellement vers son activité tous les utilisateurs d’internet en quête d’informations sur cette compétition ; qu’elle se sert de ces mêmes références non pas seulement, comme elle le soutient, parce qu’elle ne saurait désigner autrement les paris qu’elle propose en lien avec le déroulement de cette compétition, mais aussi pour promouvoir d’autres paris sur une autre compétition, en l’espèce l‘Open d’Australie, comme il a déjà été indiqué ;

Considérant que Unibet ne prétend pas qu’elle aurait contribué, par un effort, un partenariat ou un investissement quelconque, au développement de la notoriété du tournoi de Roland Garros ; qu’elle tente vainement d’insinuer que les paris qu’elle propose renforcent l’intérêt des parieurs pour suivre l’épreuve et accroître ainsi le succès de celle-ci ; que, tout au contraire, c’est la renommée du tournoi qui attire les parieurs et non l’inverse, Unibet ne songeant apparemment nullement à proposer des paris sur une compétition inconnue pour en assurer la promotion ;

Considérant que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité d’Unibet sur le fondement du parasitisme ;

Sur les mesures réparatrices

Sur les mesures d’interdiction

Considérant que la F.F.T. demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à ses demandes tendant à ce que soit interdit à Unibet, sous astreinte :
l’exploitation commerciale, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit de la manifestation sportive des Internationaux de France et particulièrement à travers l’organisation et l’offre de services de paris en ligne portant sur le déroulement, les résultats et l’issue de cette manifestation sportive, dans un délai de 24 heures à compter du prononcé de l’arrêt,
d’associer son nom et/ou ses activités notamment l’offre de services de paris en ligne, de quelque manière que ce soit et à quelque titre que ce soit, à la manifestation sportive des Internationaux de France et à sa notoriété, dans un délai de 24 heures à compter du prononcé de l’arrêt ;

Qu’elle réclame cependant une élévation du montant des astreintes, dans le premier cas, à 500 000 € par infraction constatée ou par jour de retard, dans le second cas, à 100 000 € par infraction constatée ;

Qu’elle demande en outre à la cour d’interdire à Unibet, sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée, toute utilisation, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, de la dénomination « Roland Garros », seule ou en combinaison avec d’autres mots, noms, lettres, chiffres, dessins, ainsi que des marques “RG Roland Garros” n° 1630774 et “Roland Garros French Open” n°3498116 dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt ;

Considérant que l’appelante ne développe dans ses conclusions aucun moyen ni argument spécifique pour s’opposer aux mesures d’interdiction demandées et au montant des astreintes réclamées ; qu’il sera fait droit aux demandes de la F.F.T. sur ce point dans les termes précisés au dispositif ;

Sur les dommages-intérêts

Considérant que, pour demander à la cour de condamner Unibet à lui payer 900 000 € de dommages-intérêts supplémentaires au titre de la violation de son droit exclusif d’exploitation, plus 500 000 € au titre de la contrefaçon de marques et de porter à 1,5 millions d’€ le montant de la réparation due au titre du parasitisme, la F.F.T. fait valoir, pour l’essentiel, que l’appelante n’a pas fait droit à la sommation qui lui a été faite de communiquer les comptes de son chiffre d’affaires global réalisé du fait de l’exploitation du tournoi de Roland Garros en 2007 et 2008 et ajoute qu’il y a lieu de tenir compte de la valeur commerciale exceptionnelle du Tournoi de Roland Garros, de sa réputation, de son exposition mondiale et de la poursuite des agissements reprochés en 2008 et en 2009 dans le monde entier ;

Considérant en effet que la poursuite des agissements de Unibet en dépit de I’exécution provisoire dont était assortie le jugement a aggravé le préjudice de la F.F.T. tant au titre de l’atteinte au droit d’exploitation qu’à celui du parasitisme ; qu’il y a lieu par ailleurs de tenir compte de l’infirmation du jugement quant à la contrefaçon de marques ;

Considérant, au vu des explications des parties, que la cour dispose des éléments lui permettant d’apprécier la valeur des préjudices subis par la F.F.T. du fait des agissements d’Unibet à :
400 000 € au titre de l’atteinte au droit exclusif d’exploitation,
300 000 € au titre de la contrefaçon de marques,
500 000 € au titre du parasitisme ;

Sur la publication

Considérant que, pour s’opposer aux demandes de publication de la décision présentes par la F.F.T. Unibet fait valoir que de telles mesures sont totalement inutiles car tous les opérateurs sont parfaitement au courant de cette procédure et de son déroulement ;

Mais considérant, compte tenu de la nature du litige et de l’extension de son activité dont se flatte Unibet, qu’il est particulièrement approprié d’ordonner la publication du dispositif de l’arrêt dans cinq journaux ou revues au choix de la F.F.T. et aux frais avancés de Unibet dans la limite de 5000 € HT par insertion ;

Qu’il y a lieu d’ordonner en outre à Unibet de publier le dispositif de l’arrêt en page d’accueil de son site internet pendant une durée d’un mois, dans un délai de 8 jours à dompter de la signification de l’arrêt, sous astreinte de 25 000 € par jour de retard ;

Sur les demandes reconventionnelles de Unibet

Sur la nullité de l‘accord conclu entre la F.F.T. et la Française des jeux

Considérant que Unibet, qui n’est pas partie à l’accord conclu entre la F.F.T. et la Française des jeux qu’elle dénonce comme contraire à l’article 81, § 1 du Traité CE, et qui, au surplus, s’est abstenue de faire venir la Française des jeux dans la cause, est irrecevable à demander à la cour de constater la nullité de cet accord ;

Sur le traitement discriminatoire

Considérant que Unibet, qui a exercé en fait son activité de paris sur le tournoi de Roland Garros et en a recueilli les fruits sans entrave et sans aucune contrepartie dans les conditions précédemment décrites, et qui a continué de l’exercer en dépit du jugement assorti de l’exécution provisoire prononcée à son encontre, est malvenue à se plaindre d’une restriction discriminatoire dont elle aurait été victime de la part de la F.F.T. et dont elle serait bien en peine d’établir la consistance du dommage qu’elle en aurait subi ;

Considérant, en réalité, que Unibet qui, comme elle le reconnaît elle-même, n’a jamais estimé à propos de se rapprocher de la F.F.T. pour s’informer des conditions auxquelles cette dernière pourrait subordonner son agrément à l’organisation de paris sur le tournoi de Roland Garros et à l’utilisation des marques dont elle est titulaire, n’est pas fondée à se plaindre d’un traitement discriminatoire que la F.F.T. n’a jamais eu l’occasion de lui appliquer ;

Que sa demande de ce chef sera rejetée ;

Sur le dénigrement

Considérant que Unibet expose que la F.F.T. a donné une publicité démesurée à la présente procédure et à des instances engagées contre d’autres sociétés de paris qui n’aurait été justifiée par aucun motif légitime mais seulement dictée par la volonté de jeter le discrédit sur lesdites sociétés ;

Mais considérant que les articles ou extraits mentionnés, outre que, ainsi que l’a relevé à juste titre le tribunal, rien ne permet d’en imputer avec certitude à la F.F.T. la responsabilité de la divulgation des sociétés assignées, se bornent à rendre compte des craintes de la F.F.T. au sujet de la croissance des sommes engagées dans les paris et des dérives possibles, de la nature du litige qui en résulte et des procédures engagées, sans stigmatiser particulièrement Unibet parmi d’autres sociétés de paris en ligne ni préjuger de l’issue des procédures ;

Que les propos reproduits tenus par M. V. selon lesquels « plus il y a de paris plus l’exposition au risque croît » ou encore « Même s’il n’y a pas de cas, il y a déjà suspicion et atteinte à l’image des épreuves » décrivent une réalité potentielle et justifie l’alerte lancée par la F.F.T., gardienne, par statut, des valeurs du sport qu’elle défend ;

Considérant que les faits de dénigrement et l’intention malveillante reprochés à la F.F.T, par Unibet ne sont pas établis ; que la demande présentée par cette dernière sur ce fondement sera rejetée ;

DECISION

Par ces motifs,

. Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a retenu la responsabilité de Unibet pour atteinte au droit à l’exploitation du tournoi de Roland Garros de la F.F.T. et pour des faits de parasitisme,

. Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Unibet de toutes ses demandes,

. Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile,

Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau,

. Dit que Unibet a commis des actes constitutifs de contrefaçon de la marque française semi-figurative « RG Roland Garros », déposée le 3 décembre 1990, renouvelée en 2000, enregistrée sous le numéro 1630774 et de la marque la marque communautaire « Roland Garros French Open », déposée le 31 octobre 2003 et enregistrée sous le n° 3498276,

. Interdit à Unibet :
l’exploitation commerciale, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, de la manifestation sportive des Internationaux de France et particulièrement à travers l’organisation et l’offre de services de paris en ligne portant sur le déroulement, les résultats et l’issue de cette manifestation sportive, dans un délai de 24 heures à compter du prononcé de l’arrêt, sous astreinte de 500 000 € par infraction constatée ou par jour de retard,
d’associer son nom et/ou ses activités notamment l’offre de services de paris en ligne, de quelque manière que ce soit et à quelque titre que ce soit, à la manifestation sportive des Internationaux de France et à sa notoriété, dans un délai de 24 heures à compter du prononcé de l’arrêt, sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée,
toute utilisation, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, de la dénomination « Roland Garros », seule ou en combinaison avec d’autres mots, noms, lettres, chiffres, dessins, ainsi que des marques “RG Roland Garros” n° 1630774 et “Roland Garros French Open” n° 3498116 dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt, sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée,

. Condamne Unibet à payer à la F.F.T. :
400 000 € de dommages-intérêts au titre de l’atteinte au droit exclusif d’exploitation,
300 000 € de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marques,
500 000 € de dommages-intérêts au titre du parasitisme,

. Ordonne la publication du dispositif de l’arrêt dans cinq journaux ou revues au choix de la F.F.T. et aux frais avancés de Unibet dans la limite de 5000 € HT par insertion,

. Ordonne à Unibet de publier le dispositif de l’arrêt en page d’accueil de son site internet pendant une durée d’un mois, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt, sous astreinte de 25 000 € par jour de retard,

. Déboute les parties de toutes leurs demandes contraires à la motivation,

. Condamne Unibet aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du nouveau code de procédure civile et à payer à la F.F.T. 80 000 € par application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

La cour : M. Didier Pimoulle (président), Mme Brigitte Chokron et Anne-Marie Gaber (conseillers)

Avocats : Me Paul Van Den Bulck, Me Fabienne Fajgenbaum